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Je suis un autre exemple des limites du système de justice en matière de violences sexuelles.
- Annick Charette
"Aujourd'hui, nous prenons la parole en tant que femmes, [quand aux "femmes" dont nous parlons (et dont nous faisons partie), elles seront ici cisgenres, trans ou refusant la binarité identitaire, c'est-à dire des femmes au sens où, d'une manière ou d'une autre, elles ne sont pas hommes].
Nous prenons la parole en tant que femmes marquées de nos histoires et de celles d’autres femmes qui ont croisé notre route, nous côtoient au quotidien, ont grandi avec nous et font partie des tristement ordinaires statistiques d'agressions sexuelles et de violences conjugales. Nous prenons la parole pour toutes celles parmi nous, trop nombreuses, qui ont préféré se taire plutôt que se heurter à l'humiliation de plus de voir leur parole remise en doute par un système qui acquitte des Gilbert Rozon.
Il y a deux jours, Gilbert Rozon fût disculpé pour la deuxième fois par la justice depuis le début du mouvement #Metoo.
À la lecture de son jugement, la juge Mélanie Hébert a souligné que « Le mot d’ordre “croire la victime”, poussé par le mouvement #MoiAussi, n’a pas sa place en droit criminel, il est contraire au principe de la présomption d’innocence ». Elle a également ajouté que “même si le Tribunal ne croit pas la version des faits donnée par M. Rozon, celle-ci soulève tout de même un doute raisonnable […] Compte tenu de l’existence de ce doute […], M. Rozon doit être acquitté des accusations qui pèsent contre lui”.
En quelques mots dans un verdict, Mme le Juge, bras de la justice, et le doute raisonnable auront eu raison de la parole de la victime, du cran qu’il lui aura fallu pour étaler depuis des mois devant tout.te.s cette sinistre histoire qu’elle traîne avec elle depuis 40 ans et de la présomption de culpabilité de l’agresseur.
Comment l’agresseur peut-il être reconnu non coupable jusqu'à preuve du contraire, quand la victime d'agression sexuelle est reconnue coupable d'avoir menti jusqu'à preuve du contraire? Comment un système judiciaire peut-il reconnaître publiquement qu’il ne croit pas la version de l’agresseur et pourtant l'acquitter? La violence d’un tel message envoyé aux victimes est asphyxiante: on pourrait éventuellement vous croire, mais on ne peut rien faire pour vous. Pire, on ne fera rien. Sommes-nous prêt.e.s à accepter sans ciller un système de justice qui blâme les victimes déjà lourdement impactées par la charge qu’elles auront à porter pour le reste de leurs vies, un système qui valide les comportements violents perpétrés sans crainte par des agresseurs ?
Un verdict d’autant plus brutal qu’il fût porté le jour même du dépôt du rapport du comité d'expert.e.s sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, rapport réclamé à la suite du mouvement #MeToo formulant pas moins de 190 recommandations pour améliorer le traitement des plaintes.
Nous souhaitons saluer le courage et la détermination d’Annick Charrette et lui partager tout notre soutien en tant que femmes, notre soutien en tant qu’organisation, comme à toutes les survivantes d’agressions sexuelles et de violence conjugales qui se taisent en silence par crainte et à raison de ne pouvoir être soutenue par un système de justice censé les défendre, comme à toutes celles qui dénoncent sur les médias sociaux, en sachant pertinemment que le système judiciaire n'est pas une option, ce qu'il nous a une fois de plus démontré avec l'acquittement de Gilbert Rozon.
Nous appuyons et recommandons une refonte des recours judiciaires liés aux agressions sexuelles et à la violence conjugale.
Nous soutenons formellement le rapport du Comité d'expert.e.s sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale et ses recommandations.
Nous exhortons à une réelle volonté politique de changer le système, d'investir davantage de ressources pour les victimes avant, pendant et après le processus judiciaire et appuyons sans équivoque les recommandations du rapport spécifiant que les personnes qui sont dans le système de justice soient formées adéquatement, connaissent la problématique de la violence faite aux femmes et fassent preuve de compétence.
Nous dénonçons la violence envers les femmes, toutes les femmes, particulièrement envers celles qui portent la lourdeur de l'intersection des oppressions, femmes autochtones, femmes racisées, femmes trans et dénonçons le système qui les perpétue et les maintient insidieusement.
Nous nous engageons à croire la parole des victimes, à écouter et accompagner dans la mesure de nos moyens toutes femmes qui souhaiteraient se lancer dans un processus judiciaire.
Enfin, nous laisserons la parole à celle qui n’aura pas, avant-hier, réussi à se faire entendre par ce système de justice qui perpétue les injustices mais dont les mots résonnent et nous inspirent.
On ne doit pas baisser les bras. Parce que le droit ne précède jamais la société, c’est la société qui change le droit. Si notre société juge que ceci n’est pas équitable ou n’est pas valable, c’est la société qui doit se mettre en œuvre pour changer ça.
- Annick Charette "
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Maïlis Burgaud, directrice des communications
Jani Bellefleur-Kaltush, médiatrice
Jani Louve Greffe Bélanger, co-directrice des programmes
Marie-Paule Grimaldi, médiatrice
Isabelle Anguita, médiatrice
Tiphaine Barrailler, chargée de projet
Dorothée De Collasson, co-directrice des programmes
Naïma Phillips, directrice des partenariats et financements
Alexandra Pronovost, médiatrice
Nadia Duguay, cofondatrice
Valérie Richard, médiatrice
Alessia De Salis, médiatrice
Sophie Girondin, chargée des communications et des partenariats
Au nom de toute l'équipe d'Exeko
À lire
Annick Charette en lutte pour une réforme du système, Améli Pineda, Le Devoir - 17 décembre 2020
Rozon acquitté : « C'est la société qui change le droit », dit Annick Charette, Radio Canada, Sophie Helen Leboeuf, 15 décembre 2020
Agressions sexuelles : le Comité d'experts recommande un tribunal spécialisé, Stéphane Bordeleau, 15 décembre 2020
Ressources
Violence sexuelle : aide gratuite offerte par Juripop partout au Québec
[ENGLISH]
Thanks to Etienne Mendoza for the French to English translation.
"I am yet another example of the juridical limitations in terms of sexual violence."- Annick Charette
"Today, we stand up as women, [as for the "women" which we are talking about (and which we are part of), they are here cisgender, trans, or women refusing to identify as binary, in other words, women who, in a way or another, aren’t men].
We speak as women who are tainted by our stories as well as those from other women who have crossed our path, co-exist among us, grew up with us and are part of the sadly ordinary statistics of sexual harassments and conjugal violence. We speak for all of too many of us who would rather shut up rather than be humiliated once again by having their word being doubted by a system that acquits those like Gilbert Rozon.
Two days ago, the Justice has exonerated Gilbert Rozon for the second time since the beginning of the #Metoo movement.
When reading her judgement, judge Mélanie Hébert pointed out that « The main belief, to “believe in the victim”, granted by the #Metoo movement, does not belong in criminal law, since it contradicts the presumption of innocence ».
She also added that “even though the court does not believe the factual contention of Mr. Rozon, it still casts a meaningful doubt […] Due to the existence of this doubt […], M. Rozon must be acquitted of his accusations”.
In a few words, in a verdict, Ms. Judge, arm of justice, and this reasonable doubt got the better of the victim’s words and of the courage it took her to space out for months this sinister story that has been haunting her for 40 years in front of the world and got the better of the presumption of guilt of the abuser.
How can the abuser be declared not guilty untill proof of the contrary, while the victim is guilty of having lied unless there is proof of the contrary? How can a judicial system can publically admit that it does not believe in the factual contention of the abuser yet still acquit him? The violence of such a message is asphyxiating: we could eventually believe in you, but we can’t do anything for you. Or worse, we’ll do nothing for you.
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On behalf of the entire Exeko team.