Submitted by nathan.girot on
Il est 11h du matin quand Batone me rejoint au bureau pour m’accompagner à ma première sortie. Je suis à la fois ravi de le voir, et aussi plein d’appréhensions à l’idée de faire cette journée. Nous commençons par faire le plein de livres, de crayons et de calepins puis nous nous dirigeons vers le van pour prendre la route. La météo fait des siennes aujourd’hui, le temps s’annonce froid et humide à la suite de la tombée de la première neige. Au bout d’une dizaine de minutes, nous faisons notre premier arrêt près de McGill et le stress commence à monter de mon côté. Que vais-je bien pouvoir dire ?
Nous faisons la rencontre de Guy qui est enchanté de nous voir, il a l’air de reconnaître Batone et sa caisse de livres. Il s’empresse de récupérer un crayon de papier et un calepin, et commence à nous expliquer qu’il s’est fait voler des affaires récemment et qu’il est reconnaissant de pouvoir dessiner et écrire à nouveau. Batone me présente à lui, puis retourne au van pour lui rapporter des crayons de couleur. Je me retrouve alors seul à seul avec Guy qui me parle de ses origines françaises en apprenant que je viens de France. En l’écoutant parler, je réalise que je me suis placé inconsciemment derrière la caisse comme une sorte de protection. Je décide alors de m’asseoir en face de lui pour briser la distance qui nous sépare et je me sens tout à coup beaucoup plus à l’aise. Comme si j’avais réussi à chasser toutes mes appréhensions et mes pensées intrusives pour mieux l’écouter et échanger avec lui comme je l’aurais fait avec n’importe qui.
Nous nous disons au revoir puis nous continuons notre chemin vers le métro. Nous apercevons beaucoup de personnes qui se reposent à l’abri du froid. Nous préférons alors ne pas les déranger, et nous rebroussons chemin pour reprendre le van. Dans un autre coin de Montréal, nous allons à l'encontre d’une personne qui est sur le point de terminer sa “quête”. Sa bonne humeur est super communicative, et il accepte volontiers de nous prendre un calepin et un stylo. Il nous exprime son amour pour l’écriture mais nous fait également remarquer qu’avec le froid qui débarque cela devient de plus en plus difficile. En échange, il sort un paquet de doritos de son sac et nous le donne volontiers car il n’est pas en capacité de le manger. En partant, il nous remercie chaleureusement avec un grand sourire et nous encourage à continuer ce que nous faisons.
Nous reprenons la route direction le Quartier Chinois, dans un campement qui menace de disparaître dans les prochains jours due à “des problèmes de cohabitation”. Nous nous rapprochons de deux personnes en train de discuter dont une qui n’a pas l’air très étonné de nous voir. Elle prend le temps de choisir un livre, des crayons, le paquet de doritos puis nous remercie. Après ça, nous nous préparons à repartir lorsqu’une personne nous interpelle : “Eh mais vous partez déjà ?!”. Nous rouvrons alors les portes du van puis nous sommes rejoints par deux nouvelles personnes : une qui demande des lunettes et cherche absolument un livre de Michael Connelly qu’elle finit par trouver, et une autre qui nous raconte que lire lui donne beaucoup d’inspiration pour composer ses chansons.
Nous reprenons la route et terminons cette sortie dans un parc près du Vieux-Montréal auprès de quelques campements. Nous faisons la rencontre de trois personnes assises sur un banc. Nous commençons par leur demander comment elles vivent le retour du froid et nous disent qu’elles étaient justement en train d’en discuter. A la vue de notre caisse de livres, elles nous font comprendre qu’elles ne sont pas intéressées par ce que nous proposons. Cependant la conversation continue et s’en vient le sujet de Nikola Tesla, une des personnes se révèle passionnée par le sujet et nous raconte son histoire avec émerveillement. Elle finit par nous confier qu’elle serait ravie de lire des livres sur cet inventeur.
Ce sera sur ces derniers échanges sur Nikola Tesla que se terminera ma sortie au contact des itinérants en compagnie de Batone que je remercie pour sa sincérité, sa bienveillance et son humanité tout au long de cette journée. Une journée assez déstabilisante qui m’aura fait perdre mes repères en allant à la rencontre de personnes dont je n’aurais jamais cru partager de tels échanges. Des personnes que nous côtoyons et que nous croisons parfois quotidiennement, qui nous paraissent bien souvent invisibles alors que pourtant sont bien plus présentes que nous ne le croyons.