Submitted by sophie.girondin on
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"Nous sommes des femmes" est une lettre ouverte portant la voix et l'espoir des femmes à nos élu.e.s.
Cette lettre est le fruit de réflexions avec un groupe de femmes engagées, en situation d'itinérance, usagères de l'Auberge Madeleine, rencontrées dans le cadre de nos ateliers de développement de l'esprit critique, d'analyse sociale et de participation citoyenne. Ces femmes ont un désir immense de faire circuler leur message, de faire connaitre leurs réalités, de prouver qu'il est possible de se faire publier, même lorsque l'on vit une situation d'extrême précarité et d'exclusion.
Afin de souligner la Journée internationnale pour les droits des femmes de cette année, les participantes aux ateliers actuels à l'Auberege se sont inpiré de cette lettre et de son message pour créer des affiches à placarder dans le quartier du Plateau Mont-Royal (Montréal): une occasion pour vous repartager cette lettre qui est encore pleine de justesse et d'actualité.
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Montréal, 12 décembre 2019
LETTRE OUVERTE. « Nous sommes des femmes »
En ces temps agités vous n’avez souvent plus le temps de nous offrir un sourire, nous aurions aimé vous partagez cette lettre. À vous, nos élu.e.s, et à vous, notre société, nous voulions vous présenter notre quotidien et la sagesse qu’il faut pour pouvoir y survivre. Bien que nous ne croyons plus à Saint-Nicolas, nous avons ajouté une liste de souhaits car, qui sait, peut-être que nous rêvons encore un peu.
Nous sommes des femmes et nous survivons à la pauvreté.
Nous sommes de plus en plus nombreuses à être qualifiées, très courageuses, sans nécessairement être dans la drogue ou l’alcool et à se retrouver sans abri. Pourquoi donc ? Nous avons parfois été utilisées, la femme vieillissante passe de femme objet à un objet laissé, comme un sac vert de recyclage, sur le trottoir. Aujourd’hui, le manque de place en centre d’hébergement est tel que certaines d’entre nous doivent prouver qu’elles en arrachent plus que les autres pour avoir une place.
“Nous, les femmes, souhaitons voir plus de places dans les centres d’hébergement, plus de centres pour femmes et une hausse des subventions qui y sont destinées. Ça urge.”
Nous sommes des femmes et notre valeur n’est pas reconnue.
Beaucoup d’entre nous se sont retrouvées à la rue par excès de bonté ou parce que nous sous- estimons notre valeur. Difficile de faire autrement alors que la société ne la reconnaît toujours pas. Outre l’iniquité salariale, comment expliquer qu’un médecin gagne un salaire aussi disproportionné par rapport aux infirmières ? La valeur des produits, celle-là par contre nous la connaissons bien. Le prix du pain est rendu à 4$, le lait 2,85$. Le coût de la vie augmente et nos revenus ne suivent pas.
“Nous, les femmes, souhaitons voir une baisse du coût des produits de consommation, des passes d’autobus à prix réduit selon le revenu. Nous souhaitons que les femmes gagnent un salaire égal à celui des hommes. Qu’un système plus juste permette à chacun de payer selon ses revenus.”
Nous sommes des femmes et nous vivons de la violence.
Nous sommes dans la rue et nous devons nous cacher pour ne pas être battues. Si nous ne réussissons pas à dormir chez un ami, une connaissance, un Tim Hortons ou un McDonald, nous devons nous abriter dans les ruelles, les fond de cours, les boisés, n’importe où pourvu que nous dormions. Les femmes sans abris sont moins visibles, alors le gouvernement ne fait rien pour elles.
“Nous, les femmes, souhaitons de cesser d’être abusées et que la femme dans la rue soit plus respectée que les chiens. Nous souhaitons qu’il y ait davantage d’hommes aimants et nous souhaitons qu’il soit reconnu que les violences viennent aussi des colocataires, des propriétaires.”
Nous sommes des femmes et le système nous rend malades.
Avec le désengagement de l’État, beaucoup de personnes se sont retrouvées sans véritables ressources pour leur venir en aide, et au fil des années ont rejoint les rangs de l’itinérance. Lorsque ce n’est pas la maladie mentale qui mène à l’itinérance, c’est l’itinérance qui mène à la maladie mentale. Les injustices que nous vivons quotidiennement nous rendent malades. La maladie est un luxe que nous ne pouvons nous permettre lorsque ça prend six mois pour voir un psychiatre. Si tu veux te suicider, tu ne vas pas attendre six mois.
“Nous, les femmes, souhaitons une révision des budgets octroyés pour la santé et une augmentation des services existants en santé mentale. Une société s’améliore par sa santé et son éducation.”
Nous sommes des femmes et nous méritons le respect.
Toute personne a droit à un logement décent. Ce n’est pas normal de vivre dans des lieux insalubres parce que nous avons moins de revenus. Parfois même dans vos dons, nous ressentons le mépris en recevant de la nourriture périmée. Nous vivons dans une société épicurienne et superficielle où nous avons perdu de vue les choses essentielles. Prioriser l’avoir plutôt que l’être, sans partager les ressources adéquatement n’est pas une solution à long terme.
“Nous, les femmes, souhaitons des logements comme vous avez vous autres. Nous souhaitons une société juste, qui a les valeurs à la bonne place.”
Nous sommes des femmes et nous voulons plus de la part de nos élu.e.s.
Nous savons que “les pauvres” ce n’est pas vendeur, mais si la base de la pyramide est chambranlante, il n’y a aucune fierté à être à la tête. Nous avons l’impression que vous travaillez à un niveau si haut que nos voix ne s’y rendent pas. Malheureusement, il y a longtemps que l’économie a pris le dessus sur la valorisation du peuple. Il est temps de revenir à des valeurs communautaires, à plus de communication et d’unité.
“Nous, les femmes, souhaitons un contrôle sur le prix des loyers ainsi que plus de logements abordables et propres. Nous souhaitons plus de support financier, que vous cessiez de dire les choses et que vous commenciez à les faire.”
Avec le temps et les différentes violences, beaucoup d’entre nous se taisent, bouche fermée, certaines ne parlent plus du tout, muette.
Pourquoi donc ce silence ?
Aujourd’hui, nous voulons briser ce silence.
[ENGLISH] Thanks to Etienne Mendoza for the French to English translation.
“We are women” is an open letter carrying the voice and the hope of women to our elected officials.
This letter is the fruit of the discussions of a group of invested women in a situation of homelessness, using the Auberge Madeleine. They have met within the framework of our development of critical thinking, social analysis and citizen participation workshops. These women have a tremendous desire to circulate their message, get people to know better their reality, prove it is possible to get their work published even when living in an extremely precarious situation of exclusion.
In order to commemorate the International women’s rights day, the participants created posters that will be put up in the Plateau Mont-Royal neighbourhood (Montréal). It is a wonderful opportunity to share this letter that is still very accurate.
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December 12, 2019, Montréal
OPEN LETTER. « We are women »
In these troubled times where you often don’t have time to give us a smile, we would have loved to share this letter to you. To you, our elected officials, and to you, our society, we wanted to show you our daily life and the wisdom that is necessary to survive it. Although we don’t believe in Santa Claus anymore, we added a wish list because, who knows, maybe we’re still dreaming a bit more.
We are women and we are surviving poverty.
We, although very brave, are increasingly ending up becoming homeless, without necessarily being submerged by drugs or alcohol. Why? Sometimes because we have been used; the aging woman goes from an objectified woman to an object that got abandoned on the sidewalk, like a green recycling bag. Nowadays, the space constraint in shelters is important to the point where some of us must prove that they’re having a harder time than others to have some space.
“Us, women, wish to have more space in shelters, more women’s centers, and an increase in the funding that are destined to them. And fast.”
We are women and our value isn’t acknowledged.
A lot of us ended up living on the street because of our excess of kindness or because we underestimate our own value. It’s hard to find another option since society doesn’t recognize our value. Aside from the pay inequity, how can we explain that the salary of a doctor is so disproportionate compared to the salary of a nurse? However, we know the value of our products well. The price of bread is 4$, the milk is 2,85$. The cost of living goes up while our income doesn’t.
“Us, women, wish to see a reduction of the cost of consumer products, bus passes at a reduced price depending on the person’s income. We wish that women had the same pay as men. That a more fair system allows everyone to pay according to their income.”
We are women and we are experiencing violence.
We are on the street and must hide in order not to get beaten up. If we can’t sleep at a friend/acquaintance’s house, a Tim Hortons or a McDonald, we must shelter ourselves in alleyways, the backs of courtyards, woodlots; anywhere as long as we can sleep. Homeless women are less visible, so the government does nothing for them.
“We, women, wish to stop being abused and that the woman living on the street would be more respected than dogs. We wish that there were more loving men and we wish that it can be acknowledged that the violence can come from roommates or landlords, too.”
We are women and the system makes us sick.
With the disengagement from the state, lots of people ended up not having resources to help them and, over the years, ended up in a situation of homelessness. When it’s not the mental illness causing homelessness, it’s the homelessness that can lead to mental illness. The injustices that we go through daily are making us sick. The sickness is a luxury that we cannot allow ourselves when it takes six months to see a psychiatrist. If you want to kill yourself, you won’t wait six months.
“Us, women, wish a budget revision for the health sector and an increase in existing services for mental health. A society can be improved by taking care of its health and its education.”
We are women and deserve respect.
Every person has the right to decent housing. It’s not normal to live in unsanitary places because we have less income. Sometimes, even in your donations, we feel disdain when we receive expired food. We live in an epicurean and superficial society where we lost sight of the essential things. Prioritizing the possession rather than the human being, without adequately sharing resources, isn’t a long-term solution.
“Us, women, wish to have housing like yours. We wish a just society that is putting its values at the right place.”
We are women and we want more from our elected officials.
We know that “poor people” won’t sell, but if the base of the pyramid is shaky, you can’t be proud of being on top of it. We feel like you work at such a high level that our voices can’t reach it. Unfortunately, it has been a while since the economy has been more valued than the people. It is time to go back to communal values, to more communication and unity.
“We, women, wish that rent prices were monitored as well as wishing for more affordable and clean housing. We wish for more financial support, that you would stop saying what you’re about to do and just do them.”
With time and different forms of violence, many of us keep quiet, mouth shut, some don’t talk at all, mute. Why break the silence? Today, we want to break this silence.