Par Maude Blanchet-Léger : 05/26/2021 - 13:09
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Le but de cette rencontre et de celles qui suivront est de vous raconter ce qui se passe sur le terrain – pas seulement ce qui est visible des caméras, mais aussi tout le processus qui vient avant et après. On y verra aussi plus en détail les projets qui se déroulent en ce moment, des moments forts vécus par nos médiatrices et médiateurs, leurs différentes approches, etc.
Batone et moi nous sommes rencontrés virtuellement le mercredi 5 mai. Batone est médiateur depuis 2016 et travaille sur plusieurs projets comme la idAction Mobile, Métissages Urbains, idAction avec le Comité jeunesse de Montréal-Nord et plusieurs autres. Dans ce témoignage, il nous partage sa philosophie, mais aussi des anecdotes et des moments touchants vécus dans le cadre de ces différents projets.
En vous souhaitant de belles rencontres avec notre équipe!
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Sur quels projets travailles-tu en ce moment?
Je travaille sur deux projets présentement. idAction Mobile c’est mon projet fixe; tous les lundis jusqu’à nouvel ordre, c’est ma journée de tournée avec la van. C’est un projet avec lequel j’ai une profonde identification, par l’approche, la mobilité, libre de rejoindre différents groupes à l’intérieur d’une plage horaire et de travailler toujours la rencontre et l’improvisation – l’improvisation au sens de présence, d’écoute.
Et l’autre projet c’est des ateliers plus structurés, de planification à moyen-terme, avec des buts plus ou moins définis. C’est un atelier à Montréal-Nord, au centre jeunesse-emploi avec un groupe de jeunes en réinsertion étude-travail. Je partage la création des ateliers avec Kena et la coordination de Tiphaine et on a dix rencontres. On s’est rendu à la septième rencontre déjà, donc on commence à clôturer… C’est axé sur des thèmes comme l’esprit critique, la perception de soi, le sens d’appartenance, donc avec des thèmes qui sont revisités à chaque rencontre. Ça fait deux projets qui ont une certaine distance entre eux, mais aussi une complémentarité. Je travaille beaucoup sur Métissages Urbains, chaque fois qu’on a ce projet; ça fait déjà trois ans, quatre même – toutes les années, sur Métissages Urbains et j’accompagne des résidences artistiques et… J’ai fait d’autres projets aussi, de concertation de quartier… La seule chose que j’ai pas fait encore au sein d’Exeko c’est des intensifs dans les régions.
Oui, comme à Val-D’Or?
Oui en communauté autochtone.
C’est quelque chose qui t’intéresserait, tu penses?
Oui, oui! Mais pour l’instant c’est pas possible pour moi parce que je peux pas m’absenter si longtemps de la maison, mais c’est quelque chose que, à l’avenir, si l’opportunité vient, j’aimerais le faire.
En ce moment, les ateliers à Montréal-Nord, c’est quoi la fréquence, c’est à chaque semaine?
C’est à chaque semaine oui, tous les vendredis.
Puis cet atelier-là, on peut parler d’idAction Mobile aussi, la caravane, quelles préparations ça implique? Avant l’atelier, après…
Oui c’est toujours la récolte de matériel, donc on travaille avec des cahiers, des papiers, toutes sortes d’éléments qui peuvent laisser une trace, mais dans cet atelier en particulier, on travaille depuis le début jusqu’à la fin avec l’enregistrement caméra, l’enregistrement vidéo. Donc la trace principale, ce serait une édition vidéo qui compile un ensemble d’activités de questions-réponses qu'on a faites individuellement devant la caméra. On a préparé plusieurs jeux de questions-réponses dynamiques pour que chaque participant·e dévoile son état d’esprit au jour, ses préférences, il revisite des souvenirs, il raconte des anecdotes personnelles. C’est avec ce matériel là qu’on va après faire un regard, qu’on va ensemble montrer ça au groupe avant la fin pour utiliser aussi comme matériel de réflexion. On va penser la fluidité, le changement, les états de mœurs, de présence même, on va voir l’évolution de complicité de groupe, comment on se présentait au début et on performait à la fin. Donc tout ça dans le but de travailler un tissu de confiance en tant que groupe et à l’intérieur de chaque individu qui compose le groupe, donc l’idée va dans ce sens là.
Au niveau des préparations, c’est toujours deux heures pour penser. Avec Kena – c’est une médiatrice expérimentée aussi et avec laquelle j’ai beaucoup de familiarité à travailler – on a une synergie qui fonctionne facilement sur le terrain. On a beaucoup de confiance à simplement envisager les lignes générales. Donc au cours de la semaine, on change des textes, des questions, parfois on se rencontre sur zoom pour jaser de qu’est-ce qu’on va faire pour l’atelier de la semaine. J’ai tout le matériel – on a créé une boîte pleine de balles de jonglerie, des crayons de couleurs, de choses comme ça, des cahiers. Donc j’ai une boite pour l’atelier plein de matériel chez moi que j’amène en voiture là-bas et comme on a défini que la caméra va traverser tous les ateliers, le travail de planification de chaque atelier, c’est toujours à partir de qu’est-ce qu’on va faire avec la caméra, cette fois-ci.
C’est amusant et on travaille beaucoup aussi une horizontalité du développement de l’atelier, donc on partage toujours les impressions – on récolte les impressions des participant·es pour s’assurer qu’à chaque atelier on continue dans la même direction, ou si on fait un détour, ou si on explore quelque chose qui est apparu qui peut être intéressant. Pour l’instant c’est le plan de match original qui se maintient encore.
Je jase au courant de la semaine avec Kena par texto, par message vocal et on a presque 45 minutes de déplacement de voiture pour arriver là-bas à Montréal-Nord, c’est loin, donc on a le temps de se nourrir de ce qu’on va présenter.
Oui, dans la van vous avez le temps de parler ensemble beaucoup dans le trajet et aussi je me demandais, ça fait plusieurs projets que tu fais avec Kena?
On a déjà fait d’autres projets, j’ai travaillé avec elle dans un projet avec le Groupe de l’Itinéraire. On a fait dix rencontres sur le cinéma marginal, puis on a travaillé avec la caméra pour créer des vidéos absurdes, des images éclatantes, il y avait beaucoup d'expérimentations. On s’est appuyé sur le cinéma expérimental marginal, mais avec une touche de logique, de résistance. J’ai exploré beaucoup le courant de cinéma marginal latino-américain, mais surtout brésilien. C’est un truc que je connais bien, j’ai déjà donné des cours de ça à l’université au Brésil, des cours de cinéma, j’ai fait ma maîtrise là-dedans.
Ah je savais pas! Donc t’as vraiment une aise avec la caméra, ça sert souvent de prétexte un peu pour faire les ateliers?
Je suis à l’aise avec la théorie du cinéma marginal, le cinéma novo brésilien, certains courants du cinéma qui ont inspiré cette vague là en amérique du sud, le réalisme italien, la nouvelle vague française, des choses comme ça. Je suis pas cinéaste, mais ma copine est réalisatrice, elle travaille avec le cinéma, vraiment.
Ah c’est cool, c’est un côté que je savais pas de toi! Dans le fond, le groupe ce sont des jeunes, comment tu décrirais le profil des jeunes, un peu pour s’imaginer avec quel·les participant·es tu travailles?
C’est des jeunes de, je dirais, 18-24 ans, pas plus que ça. Quelques uns sont en train de travailler, d’autres en démarche de projet d’études, mais ce que je réalise c’est que c’est un public vraiment vulnérable. Ils sont là parce qu’ils ont vraiment besoin d’orientation pour reprendre des démarches. Ils sont motivés, mais ils sont pas sécurisés à l’intérieur d’eux. C’est des personnes avec une histoire de fragilité structurelle, économique, affective. Ce sont des impressions qu’on va peu à peu commencer à concevoir et ça vient de façon discrète. C’est un peu le but des questionnements qu’on pose, c’est pour dévoiler ces gens, la personne derrière l’être stigmatisée qui est là.
Montréal-Nord c’est un espace stigmatisé à l’intérieur de la ville et à l’intérieur de ce centre jeunesse se retrouvent des gens qui portent cette lourdeur là, qui ont l’imaginaire marqué par les frontières, les obstacles, les empêchements, les restrictions, tout basé sur les préjugés structurels de société et le racisme, tout ça, des choses difficiles à explorer, à rentrer, à jaser. Pour moi, c’est un terrain hyper délicat, parce que j’ai pas vécu cette situation de stigmatisation. Ma parole a une valeur vraiment relative là-dedans, donc j’essaye de ne pas obscurcir un espace – occupé un espace qui est dédié à cette sorte d’exploration. Il y a une dimension affective, il y a une dimension économique, tout mêlé, c’est très délicat. Qu’est-ce qu’on peut vraiment apporter, à part le fait qu’à chaque rencontre, on rejoint les mêmes personnes, on se dit, « bon, au moins ils ont le plaisir d’être avec nous. »
Ça peut sécuriser, c’est quelque chose de stable dans leur vie, qui revient à chaque semaine…
Oui et aussi on réalise Kena et moi qu’une bonne partie – substantielle même – de l’atelier de façon surprenante a servi aux intervenant·es de la place, parce qu’au départ, ils étaient là pour nous seconder, mais on a fini par mobiliser tous les intervenant·es. Ils participent tous les trois à chaque rencontre et on a perçu peu à peu que leur participation est une dimension de ce qu’on propose. On a commencé à penser aussi à la participation des intervenant·es comme un élément à considérer dans la planification de chaque rencontre, parce qu’ils sont là, ils nous renforcent à chaque rencontre.
Moi et Kena on apprend beaucoup, pour moi, chaque atelier c’est aussi une occasion, une opportunité riche d’apprentissage personnel, de revoir mes valeurs, de remettre en question beaucoup de choses. Je sors toujours du terrain à Exeko ébranlé, toujours touché par quelque chose que je remets en question, qui me fait penser : mes privilèges, mes faiblesses, mes insécurités et mes forces, donc c’est wow! ça me penche sur des choses essentielles.
Parlant de cet état là quand tu sors des ateliers, du terrain, est-ce qu’il y aurait un moment que tu a vécu que tu qualifierais de moment fort pour toi?
La dernière rencontre de vendredi passé pour moi c’était fort comme moment. On a fait une activité de – on a recouvert tout le plancher pour créer une grande toile de quatre mètres par quatre mètres. On a laissé tout le matériel de peinture accessible aux gens et on a mis une playlist de musique plus introspective, mais qui changeait aussi nos états. On s’est lancé dans un dessin collectif et automatique, pour après utiliser ça comme source de conversation, de reconnaissance, de réflexion très ouverte. J’adore ce genre d’activité qui permet vraiment l’expression libre. Je pense que ça peut atteindre certains niveaux, aller directement sur la cible. Je fais confiance à simplement libérer l’espace pour laisser ressortir – et on avait pensé cette activité pour la première moitié du temps, donc une heure, et elle nous a tellement emballés qu’on a passé deux heures là-dedans. Moi je participais au dessin collectif en tant que participant aussi; j’étais complètement entouré d’une atmosphère mentale menée par la musique, les dessins automatiques… Ça m’a fait tellement de bien et à tous parce que tout le monde était concentré sur ses traces.
Par exemple, à idAction Mobile, je fais depuis deux mois des sorties régulières avec un artiste de cirque, Pascal Duguay. C’est super agréable, une personne très attentive à tout ce qui se passe et avec qui j’explore présentement des nouveaux terrains que je visitais moins avant, comme les Jardins Gamelins. Par exemple, il y a deux semaines, on a par hasard rencontré un participant qui avait un ballon de soccer et qui était un joueur presque professionnel dans sa jeunesse. On a commencé à jouer aux Jardins Gamelins et ça m’a tellement marqué que cette semaine, je suis allé au Parc Lafontaine juste pour jouer au soccer avec mes enfants. Je me suis rendu compte que, comme brésilien, quand on me pose la question de si j’aime le soccer, je dis toujours que non, mais j’ai découvert avec lui que je jouais pas mal!
Et Pascal était aussi super… On faisait juste des passes, tu sais, en triangle et ça a été un moment – ça a généré après une longue conversation avec le participant qui a raconté son passé en Algérie, qui a passé sa jeunesse en France, qui est venu au Canada – depuis sept ans qu’il est là. Il a fait l’université, il est prof d’informatique, qui a vécu tellement d'émotions (ou d’illusions) amoureuses, qui je pense étaient aussi une raison de se retrouver comme il était… C’était riche. Donc c’est des petits moments comme ça, des rencontres.
À idAction Mobile, j’ai moins de soucis de penser d’avance – tu as déjà fait une sortie avec moi – mais je laisse toujours la beauté de la rencontre gagner l’avance et il n’y a pas cette contrainte performative de poser une question… idAction Mobile pour moi c’est un terrain de surprises, de valorisations des rencontres des gens et moi je me mets comme élément discret de cette rencontre. C’est une approche qui n'est pas facile, parce qu’on est habillé de cette mission et les gens l’identifient. On rentre dans leur privacité, dans cet espace privatif là. J’essaye d’être vraiment discret, c’est pour ça que j’aime pas arriver avec des propositions qui font plutôt du sens pour ma mission, il n’y a rien que je DOIS faire. À idAction Mobile, je m’appuie entièrement sur la posture éthique d’Exeko et je laisse la place…
Puis dans ces rencontres là, est-ce que tu aurais une anecdote d’une personne que t’as rencontrée qui démontre de l’impact pas nécessairement d’un projet, mais des différentes rencontres que ça a eu sur cette personne?
Oui, pendant l’Halte Chaleur Mont-Royal – quand la ville a laissé une tente derrière le métro Mont-Royal, où il y a le trailer de Wapikoni – j’ai passé tout l’hiver à visiter et pendant une semaine on a créé un lien plus étroit avec un participant qui se disait d’origine autochtone lointaine, parce qu’il était pas visiblement autochtone, mais il était affecté par la communauté. Il s’est installé autour de la tente, avec sa petite tente en fait et il s’est entendu avec le personnel de Wapikoni – ils ont installé sa petite tente là-bas. À chaque semaine qu’on passait, il nous montrait des dessins qu’il faisait et on lui donnait du matériel, des feutres à colorier et quand il finissait son cahier de dessin on lui en donnait plus. C’est un homme qui a vécu une bonne partie de sa vie en prison. Il a fait 30 ans de peine et ça fait quelques années qu’il est dehors, donc c’est quelqu’un qui avait aussi besoin de repères personnels, qui est marqué par une violence extrême, d’une méfiance terrible des gens, mais qui était quelqu’un à qui il nous plaisait de parler. Il nous racontait de grandes histoires, il était fier quand même de son passé, de ce qu’il apportait – et un moment donné, sa tente a pris feu.
Oh!
Avant ça, il nous a fait – à moi et à Pascal – visiter sa tente, tout ça, l'extérieur, regarder tout là-dedans, comment il s’organisait, comment il se protégeait du froid… Et quand sa tente a pris feu, on l'a retrouvé comme abattu, pour avoir perdu le peu qu’il avait déjà. Mais il nous a raconté comment le dessin était important pour lui, parce que dans le peu de choses qu’il a pu sauver, ça a été son cahier de dessin. Il disait, je peux vivre sans mes affaires personnelles : ma tente, tout ce que j’ai perdu, c’est pas important. Mais cet espace-là d’expression, la feuille et mes dessins, ces moments-là d’introspection, pour moi c’est fondamental. Ça je peux pas vivre sans… Exeko c’est pas mal un des seuls organismes qui misent sur cette dimension de l’être : l’art vraiment comme une expression de l’intériorité, d’une unicité, d’une personnalité.
Et depuis ça, j’ai cherché du matériel de peinture qui trainait dans notre remise idAction Mobile depuis longtemps pour le lui donner. Mais dès que la tente Halte Chaleur a été démontée, on l’a perdu. Je le cherche dans la ville, je pose des questions à des gens qui potentiellement peuvent le connaître, mais il n’est plus là.
C’était la confirmation du bien-être que ce genre d’approche peut faire aux gens, donner une dignité créative. Ça a été par l’art qu’on a pu tisser une conversation et qu’on a pu apprivoiser sa douleur d’avoir été prisonnier des années et des années de sa vie. C’était par les dessins, par l’entremise de l’expression artistique qu’on a pu tisser vraiment cette relation. S’il n’y avait pas cette plateforme-là, cette interface, ça aurait été une personne qu’on aurait difficilement pu connaître profondément, parce qu'au-delà de son cahier et des airs qui se dégageaient de ses dessins, c'était une personne méfiante et agressive. Mais c’est pas un jugement de ma part, c’est la façon qu’il dessinait. Il disait « non mais je réponds comme ça, ma présence est déjà en défensive. » Il est marqué par son passé, mais les dessins l'adoucissent comme personne.
Des anecdotes plus rigolotes, récemment… Un homme qui travaille de façon bénévole aux Jardins Gamelins en faisant du pain arabe nous a promis d’apporter du pain. On l’a rencontré déjà deux fois, il n’avait pas de pain. [rires] Il m’a montré sur mon cellulaire plein de recettes. Je fais du pain à la maison puis on parlait de farine; il m’a rassuré que la marque de farine blanche que j’achète est la bonne. [rires] C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup.
Mais c’est ça… Les anecdotes du terrain d’idAction Mobile passent pas mal par un côté dramatique. Ce sont des gens qui sont vraiment exposés à ce qui est le plus difficile dans la vie d’un être humain : c’est de ne pas avoir d’abris, être en plein air dans des conditions climatiques extrêmes, donc beaucoup marquées par l’abus de consommation pour pouvoir endurer ces conditions. C’est pas facile de faire ressortir des histoires… C’est toujours plutôt des moments plus légers que d’habitude.
[...]
Puis une métaphore pour décrire ton travail?
La métaphore que j’utilise… J’ai vécu une métaphore cette semaine en allant au métro Bonaventure, qui est vide présentement de passants à cause de la covid, mais qui est imposante comme structure. Tu connais la station Bonaventure?
Oui oui!
Un grand hall, avec des plafonds très hauts, une structure gothique – qui me fait penser à ça un peu parce que ce sont des édifices où circule beaucoup d’argent, donc il y a ce soucis-là de créer un espace assez sophistiqué, mais où se ramassent les gens les plus écartés de la rue. C’est vraiment un mélange de gens qui ont des problèmes de santé mentale, qui sont extrêmement refusés par la société. C’est un groupe vraiment marginal à l’intérieur de l’itinérance : ils sont encore plus stigmatisés, écartés – et là je me voyais à l’intérieur d’une grotte très profonde, à aller chercher des êtres humains qui sont dans le noir, vraiment.
Je pense que c’est un travail humain d’extrême besoin d’aller faire du rescue dans les territoires les plus « limites », dans le sens métaphorique même, parce que les frontières sont des écarts, des différences, de l’exclusion... C’est comme l’endroit où se cachent – ils sont là parce qu’il n’y a pas d’autres places, ils sont en cachette. La métaphore c’est ce travail d’exploration de lieux à la rencontre des gens qui doivent être récupérés par la dignité humaine et par des rencontres, de se parler…
J’aime beaucoup ton image de la grotte!
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L’entrevue avec Batone est chargée d’humanité, de sensibilité et il nous partage un témoignage riche, très sincère et authentique à sa personne. Je le remercie pour son temps et le travail inspirant qu’il réalise au sein d’Exeko. J’espère que ce partage pourra en inspirer d’autres et aussi mettre en lumière et informer sur le travail de terrain parfois difficile, mais central et important, réalisé par les médiatrices et médiateurs.
La réalisation du projet idAction Mobile est possible en partie grâce aux soutiens financiers de la Ville de Montréal, de l’arrondissement de Ville-Marie via le Fonds local 2e vague COVID-19, du Gouvernement du Québec par l’entremise du Fonds d’initiative et de rayonnement de la métropole administré par le Secrétariat à la région métropolitaine du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation et du Secrétariat aux affaires autochtones, de la Caisse d'Économie Solidaire Desjardins, de la Fondation du Grand Montréal via le Fond d'urgence pour l’appui communautaire (FUAC) et de Catherine Donnelly Foundation.
Le projet idAction avec le Comité jeunesse de Montréal-Nord est un projet pour une Ville Inclusive, notre programme soutenu financièrement par Patrimoine canadien et RBC Banque Royal.
[ENGLISH] Thanks to Maha Foury for the French to English translation.
Interview with Batone: art as an expression of interiority
By Maude Blanchet-Léger
The purpose of this meeting and those that will follow is to tell you what is happening in the field - not only what is visible from the cameras, but also the whole process that comes before and after. We will also see in more detail the projects that are taking place at the moment, the strong moments experienced by our mediators, their different approaches, etc.
Batone and I met virtually on Wednesday May 5th. Batone has been a mediator since 2016 and works on several projects such as idAction Mobile, Métissages Urbains, idAction with the North Montreal Youth Committee and many others. In this testimony, he shares with us his philosophy, but also anecdotes and touching moments experienced in the context of these different projects.
Wishing you good encounters with our team!
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What projects are you working on at the moment?
I am currently working on two projects. idAction Mobile is my permanent project; every Monday until further notice is my tour day with the van. It is a project with which I have a deep identification, by the approach, the mobility, free to join different groups within a time slot and to always work on meeting and improvisation - improvisation in the sense of presence, of listening. And the other project is more structured, medium-term planning workshops, with more or less defined goals. This is a workshop in Montreal-North, at the youth-employment center with a group of young people in study-work reintegration. I share the creation of the workshops with Kena and the coordination of Tiphaine and we have ten meetings. We have already reached the seventh meeting, so we are starting to close... It is focused on themes such as critical thinking, self-perception, the sense of belonging, therefore with themes that are revisited each time. It makes two projects that have a certain distance between them, but also a complementarity. I work a lot on Métissages Urbains, every time we have this project; It's been three years already, four even - every year, on Métissages Urbains and I accompany artistic residencies and… I have also done other projects, neighborhood consultation… The only thing I haven't done yet within Exeko it is intensives in the regions.
Yes, like in Val-D’Or?
Yes in an indigenous community.
Is that something that would interest you, do you think?
Yes Yes! But right now it's not possible for me because I can't be away from home for so long, but it's something that in the future, if the opportunity comes, I would like to do it .
At the moment, the workshops in Montreal-North, what is the frequency, every week?
It's every week yes, every Friday.
Then this workshop, we can also talk about idAction Mobile, the caravan, what preparations does that involve?
Before the workshop, after… Yes it's always the collection of material, so we work with notebooks, papers, all kinds of elements that can leave a mark, but in this workshop in particular, we work from the beginning until the end with camera recording, video recording. So the main trace would be a video edit that compiles a set of question-and-answer activities that we did individually in front of the camera. We have prepared several dynamic question-and-answer games for each participant to reveal their state of mind, their preferences, revisit memories, and tell personal anecdotes. It is with this material that we will afterwards have a look, that we will together show this to the group before the end to also use as material for reflection. We will think about fluidity, change, states of morals, even presence, we will see the evolution of group complicity, how we presented ourselves at the beginning and we performed at the end. So all this in order to work on a fabric of trust as a group and within each individual who makes up the group, so the idea goes in that direction.
When it comes to preparations, it's always two hours to think. With Kena - she is also an experienced mediator and with whom I have a lot of familiarity to work - you have a synergy that works easily in the field. We have a lot of confidence in just looking at the general lines. So during the week, we change texts, questions, sometimes we meet on zoom to talk about what we are going to do for the workshop of the week. I have all the materials - we made a box full of juggling balls, crayons, things like that, notebooks. So I have a box for the workshop full of equipment at home that I take by car there and as we have defined that the camera will go through all the workshops, the planning work of each workshop is always from what are we going to do with the camera this time. It's fun and we also work a lot on a horizontality of the workshop development, so we always share impressions - we collect the impressions of the participants to make sure that at each workshop we continue in the same direction, or if we take a detour, or if we explore something that has emerged that may be interesting. For now, the original game plan still holds.
I chatted during the week with Kena by text, by voice message and we have almost 45 minutes of car travel to get there in Montreal-North, it's far, so we have time to nurture on what we are going to present.
Yes, in the van you have time to talk together a lot on the way and also I was wondering, are you doing several projects with Kena?
We have already done other projects, I worked with her on a project with the Route Group. We made ten meetings on marginal cinema, then we worked with the camera to create absurd videos, brilliant images, there was a lot of experimentation. We relied on marginal experimental cinema, but with a touch of logic, resistance. I have explored a lot the current of Latin American marginal cinema, but especially Brazilian. This is something I know well, I've taught that at university in Brazil before, film classes, I did my masters in that.
Ah I did not know! So you are really comfortable with the camera, does that often serve as a bit of a pretext for doing workshops?
I'm comfortable with the theory of marginal cinema, Brazilian novo cinema, certain currents of cinema that inspired this wave in South America, Italian realism, the French new wave, things like that. I'm not a filmmaker, but my girlfriend is a director, she works with cinema, really.
Ah that's cool, that's a side I didn't know about you! Basically, the group are young people, how would you describe the profile of the young people, just to imagine which participants are you working with?
They are young people of, I would say, 18-24 years old, not more than that. Some are in the process of working, others in the process of a study project, but what I realize is that this is a really vulnerable audience. They are there because they really need guidance to get back on track. They are motivated, but they are not secure inside them. These are people with a history of structural, economic, emotional fragility. These are impressions that we will gradually begin to conceive and they come in a discreet way. This is kind of the purpose of the questions we ask, it is to reveal these people, the person behind the stigmatized being who is there.
Montreal-North is a stigmatized space inside the city and inside this youth center, there are people who carry this heaviness there, who have the imagination marked by borders, obstacles, obstacles , the restrictions, all based on the structural prejudices of society and racism, all that, things difficult to explore, to fit in, to talk about. For me, this is a very delicate area, because I have not experienced this situation of stigma. My speech has a really relative value in there, so I try not to obscure a space - occupied a space that is dedicated to this kind of exploration. There is an emotional dimension, there is an economic dimension, all mixed up, it's very delicate. What we can really add, other than the fact that every time we meet we meet the same people, we say to ourselves, "well, at least they have the pleasure of being with us. »
It can be reassuring, it is something stable in their life, which comes back every week…
Yes and also we realize Kena and I that a good part - substantial even - of the workshop surprisingly served to the interveners. There is room, because at the beginning , they were there to support us, but we ended up mobilizing all the stakeholders. The three of them participate in each meeting and we have gradually perceived that their participation is a dimension of what we are proposing. We also began to think of the participation of speakers as an element to consider in the planning of each meeting, because they are there, they strengthen us at each meeting.
Me and Kena learn a lot, for me each workshop is also an opportunity, a rich opportunity for personal learning, to review my values, to question a lot of things. I always step out of the field in shaken Exeko, still touched by something that I question, that makes me think: my privileges, my weaknesses, my insecurities and my strengths, so it's wow! it leans me on essential things.
Speaking of this state when you leave the workshops, the field, would there be a moment that you lived that you would qualify as a highlight for you?
The last meeting last Friday for me was a strong moment. We did an activity - we covered the whole floor to make a big canvas four meters by four meters. We left all the painting material accessible to people and we put a more introspective music playlist, but which also changed our states. We embarked on a collective and automatic design, only to use it as a source of conversation, of recognition, of very open reflection. I love this kind of activity that really allows free expression. I think it can reach certain levels, go straight to the target. I trust to just free up the space to let out - and we had been planning this activity for the first half of the time, so an hour, and it got us so excited we spent two hours in it. I participated in the collective drawing as a participant too; I was completely surrounded by a mental atmosphere driven by music, automatic drawings… It did me so much good and everyone because everyone was focused on his footsteps.
For example, at idAction Mobile, I have been going out regularly for two months with a circus artist, Pascal Duguay. It's super nice, a person who is very attentive to everything that is going on and with whom I am currently exploring new sites that I visited less before, such as Les Jardins Gamelins. For example, two weeks ago, we happened to meet a participant who had a soccer ball and who was an almost professional player in his youth. We started playing at Jardins Gamelins and it struck me so much that this week, I went to Parc Lafontaine just to play soccer with my children. I realized that, as a Brazilian, when I am asked if I like soccer, I always say no, but I found out with him that I played quite a lot!
And Pascal was also great… We were just doing passes, you know, in a triangle and that was a while - it generated after a long conversation with the participant who recounted his past in Algeria, who spent his youth in France, who came to Canada - for the seven years he has been there. He went to college, he's a computer teacher, who went through so many romantic emotions (or illusions), which I think were also a reason to find himself as he was… It was rich. So it's little moments like that, meetings.
At idAction Mobile, I have less worry about thinking in advance - you've already done an outing with me - but I always let the beauty of the meeting win the lead and there is not this performative constraint of posing a question… idAction Mobile for me it is a land of surprises, of valuing meetings with people and I put myself as a discreet element of this meeting. This is an approach that is not easy, because we are dressed for this mission and people identify it. We enter their privacy, in this private space there. I try to be really discreet, that's why I don't like to come up with proposals that make more sense for my mission, there is nothing I MUST do. At idAction Mobile, I rely entirely on Exeko's ethical posture and I leave the place...
Then in these encounters, would you have an anecdote from a person you met that demonstrates the impact not necessarily of a project, but of the various encounters that it had on that person?
Yes, during the Halte Chaleur Mont-Royal - when the city left a tent behind the Mont-Royal metro, where there is the Wapikoni trailer - I spent the whole winter visiting and for a week we had bonded more closely with a participant who claimed to be of distant Indigenous descent, because he was not visibly Indigenous, but was affected by the community. He set up around the tent, with his little tent actually, and he got along with the staff at Wapikoni - they set up his little tent there. Every week we passed he would show us drawings he was making and we would give him materials, markers to color in and when he finished his sketchbook we would give him more. He is a man who has spent a good part of his life in prison. He's had 30 years of pain and he's been outside for a few years, so he's someone who also needed personal reference points, who is marked by extreme violence, by a terrible mistrust of people, but who was someone we liked to talk to. He told us great stories, he was still proud of his past, of what he brought - and at one point his tent caught fire.
Oh!
Before that, he made us - me and Pascal - visit his tent, all that, the outside, look at everything in there, how he organized himself, how he protected himself from the cold… And when his tent took fire, we found him despondent , for having lost what little he already had. But he told us how important the drawing was to him, because in the few things he was able to save, it was his sketchbook. He said, I can live without my personal belongings: my tent, whatever I lost, it doesn't matter.
But that space of expression, the sheet and my drawings, those moments of introspection, for me it is fundamental. I can't live without… Exeko is pretty much one of the only organizations that capitalize on this dimension of being: art truly as an expression of interiority, of uniqueness, of personality.
And since then, I've been looking for some painting supplies that had been hanging around our idAction Mobile shed for a long time to give it to him. But as soon as the Halte Chaleur tent was taken down, we lost it. I look for him in the city, I ask questions of people who potentially may know him, but he is no longer there.
It was a confirmation of the well-being that this kind of approach can give to people, to give creative dignity. It was through art that we were able to forge a conversation and tame the pain of having been a prisoner for years and years of his life. It was through the drawings, through the artistic expression that we were able to truly forge this relationship. If it weren't for this platform, this interface, it would have been a person that we could hardly have known deeply, because beyond his notebook and the tunes that emerge from his drawings, it is was a suspicious and aggressive person. But that's not a judgment on my part, that's the way he drew it. He said “no but I answer like that, my presence is already on the defensive.
He is marked by his past, but the drawings soften him like no other.
More funny anecdotes, recently ... A man who works as a volunteer at Les Jardins Gamelins making Arabic bread promised to bring us bread. We have met him twice already, he had no bread. [laughs] He showed me lots of recipes on my cell phone. I bake bread at home and then we talked about flour; he reassured me that the brand of white flour I am buying is the right one. [laughs] He's someone I really appreciate.
But that's it ... The anecdotes from idAction Mobile's field are quite dramatic. These are people who are really exposed to what is the most difficult in the life of a human being: it is not to have shelters, to be in the open air in extreme climatic conditions, so much marked by the abuse of consumption to be able to endure these conditions. It's not easy to bring out stories ... It's always rather lighter moments than usual.
Can a metaphor to describe your work?
The metaphor I use... I experienced a metaphor this week going to the Bonaventure metro station, which is currently empty of passers-by because of the covid, but which is imposing as a structure.
Do you know the Bonaventure station?
Yes Yes!
A large hall, with very high ceilings, a Gothic structure - which reminds me of that a little because these are buildings where a lot of money circulates, so there is this concern of creating a rather sophisticated space, but where the most distant people from the street congregate. It’s really a mixture of people with mental health issues, who are extremely rejected by society. This is a really marginal group within the homelessness: they are even more stigmatized, pushed aside - and there I saw myself inside a very deep cave, to go looking for human beings who are in the dark, really.
I think it is a human task of extreme need to go and rescue in the most “borderline” territories, in the very metaphorical sense, because the borders are gaps, differences, exclusion. .. It's like the place where they hide - they are there because there are no other places, they are in hiding. The metaphor is this work of exploring places to meet people who must be retrieved through human dignity and through encounters, to talk to each other ...
I really like your image of the cave!
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The interview with Batone is loaded with humanity, sensitivity and he shares with us a rich, very sincere and authentic testimony to his person. I thank him for his time and the inspiring work he does at Exeko. I hope that this sharing can inspire others and also shed light on and inform about the sometimes difficult, but central and important fieldwork carried out by mediators.