Par mailis.burgaud : 07/07/2020 - 14:00
Après 1 an passé avec nous à l'équipe des programmes et projets, Amandine Gazut reprend sa route vers de nouvelles aventures. Elle a accordé à ÉponineVerney-Carron une entrevue sincère sur son expérience, son arrivée, ses apprentissages.
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Qu'est-ce que tu faisais chez Exeko?
J'étais agente de projets jusqu'à la semaine passée (semaine qui marquait la fin de mon programme d'échange), mon mandat principal étant de coordonner les différents projets idAction à Montréal avec les jeunes, de créer ou de consolider des partenariats. À côté de ça, j'ai eu l'opportunité de développer ma passion pour l'audiovisuel, en apportant mon aide aux communications, avec de la vidéo notamment. En tant qu'autodidacte dans ce domaine, j'ai pu ainsi valoriser mes compétences grâce à Exeko, et je peux maintenant les mettre en avant à travers ces expériences.
Ton expérience terrain la plus récente: les haltes-répit.
J'ai été présente sur les haltes-répit depuis leur ouverture (NB: des lieux ouverts lors du confinement par la Ville, coordonnés pour deux d’entre eux par Exeko, pour accueillir les personnes en situation d’itinérance), à raison de deux ou trois shifts par semaine en moyenne, puis en coordination les fins de semaine.
Ce qui m'a vraiment marqué fût de voir qu'il s'agissait d'un réel besoin pour les personnes en situation d'itinérance d'avoir un lieu disponible, en journée, pour pouvoir se reposer de façon sécuritaire. On l'a bien remarqué avec le nombre de personnes qui était comptabilisé à l'entrée, surtout au début de la mise en place des haltes-répit puisqu’à ce moment-là il faisait vraiment très froid. Certains jours, il y avait même des files d'attente pour que les gens puissent avoir accès à une chaise.
J’ai été frappé de réaliser qu'on peut rendre n'importe quel lieu hyper accueillant, juste avec de l'échange et de la bienveillance. Par exemple, j'ai surtout travaillé dans le hall de la Grande Bibliothèque, qui n'est pas forcément ce qu'il y a de plus accueillant au premier coup d’œil pour s’y reposer : c’est un espace très grand, très haut, avec beaucoup d’écho et juste des chaises espacées de deux mètres… Mais avec toute l'équipe sur place, que ce soit les coordonnateur.rice.s, les agent.e.s de sécurité ou les bénévoles, on est arrivé à créer un espace bienveillant où tout le monde se sentait bien. Moi, en y allant, j'avais vraiment le goût de faire mes shifts ! Je savais que j'allais passer un bon moment et que j'allais rencontrer des gens. Et ça, même si on ne se parlait pas trop car le lieu était avant tout un espace de repos et de silence. Il y avait une vraie belle énergie là-bas.
Ce fût une expérience de mixité sociale importante, car sans ce lieu, toutes ces personnes ne se seraient jamais rencontrées. Comme j'ai été bénévole et coordonnatrice pendant tout le temps des haltes-répit, j'ai pu voir les changements "d'ambiance". Comme si de petites ampoules s'éclairaient dans les têtes des gens qui se rendaient compte que certains préjugés - qu'on a tou.te.s - se cassaient tout doucement au fil du temps. Je trouve ça vraiment beau car c'est en étant ensemble et en apprenant les un.e.s des autres.
Les profils étaient très différents, ne serait-ce que parmi les usager.e.s. Il y avait des personnes en situation d'itinérance et de grande précarité et d'autres qui ne l’étaient pas du tout. Je me suis vraiment rendue compte avec cette expérience que la précarité peut avoir mille visages. Le sentiment de solitude est l’un d’entre eux et je trouve qu’il a été complètement oublié dans la gestion de la pandémie. Des personnes qui n'étaient pas en situation de précarité venaient elles aussi, simplement pour être entourées de monde, pour pouvoir avoir une présence humaine à leur côté, qui fait du bien. Bien que ce fût un lieu de repos, c'était aussi un lieu de rencontre.
L'initiative de la ville fût essentielle mais je trouve dommage que ces mesures aient été prises suite cette crise d'ampleur majeure, alors que ce besoin était aussi présent avant. Même s’il y a des centres de jour communautaires qui existent dans de nombreux quartiers de Montréal, ce n'est jamais suffisant. J'espère que cette situation sans précédent va permettre d'ouvrir de nouvelles portes maintenant et dans le futur.
Une anecdote à partager ?
L'entièreté de la halte-répit est une expérience de mixité sociale et de solidarité en soi. On ne s'en rend pas forcément compte quand on y travaille mais avec du recul, l'ensemble du processus, de l'ouverture à la fermeture, est une expérience de mixité sociale.
En tant que bénévole à la Grande Bibliothèque, on devait avoir les yeux partout pour ne pas rater la désinfection des chaises lorsque quelqu’un partait. Comme l’espace est très grand, il pouvait m’arriver de ne pas voir quelles chaises venaient d’être libérées ou même de me tromper et de ne pas désinfecter les bonnes… Plusieurs fois, des usager.e.s m'ont interpellée et m’ont fait signe pour m'aider. C'était le fun ces situations-là, on était ensemble vraiment, on en riait beaucoup.
Dans quel état d’esprit es-tu arrivée au Québec? Dans quel état d’esprit repars-tu ?
Je suis venue à Exeko dans le cadre d'un Service Civique. C'est un programme français un peu particulier, basé uniquement sur la motivation d'intégrer un organisme communautaire, en France ou à l'étranger. C'est à la fois utile pour développer des compétences techniques et professionnelles et pour avoir un impact positif sur la communauté. En faisant cette démarche-là, je souhaitais me sentir utile, faire une pause dans ma vie et agir, pour voir si une mission comme celle-ci me correspondait. J'avais l'envie de travailler pour une cause.
Je suis arrivée avec cette mentalité-là à Exeko, mais également avec des valeurs personnelles relativement fortes. J’ai été bénévole plusieurs années pour la Croix-Rouge française, j'ai toujours été très tolérante et ouverte. Donc, quand je suis arrivée, je voulais vraiment changer les choses à mon échelle.
Même si je ne comprenais pas encore exactement la mission d'Exeko, je m’étais renseignée sur la théorie de la transformation sociale de l'organisme ou sur la présomption d'égalité des intelligences (NB: énoncé éthique et publications à découvrir ici)… Mais tant qu'on ne le vit pas, ce sont des concepts complexes à comprendre. Je sentais malgré tout que c'était quelque chose qui m'intéressait, le fait de présumer que tout le monde "vaut" la même chose, que chaque intelligence se vaut. Donc je suis arrivée avec l'envie d'aider et de faire partie de cet organisme-là, sans trop savoir où je mettais les pieds, mais toujours avec cette envie d'agir.
Un an est passé, et quand je suis partie d'Exeko, c'est avec tous ces sentiments-là exacerbés. Maintenant, je suis sûre de mes valeurs, de ma façon d'aborder le monde, du fait que ce soit une bonne façon de faire. Je considère qu'être ouvert.e, essayer d'apprendre des autres, les traiter sur un pied d'égalité, communiquer sainement, c'est ce qui marche pour faire changer, au moins un petit peu, les mentalités et les choses. Cette façon de penser a été renforcée par Exeko et m'a donné l'envie de rester dans le milieu communautaire, à Montréal.
Qu’as-tu particulièrement appris en 1 an ?
La posture d'allié.e est mon plus grand apprentissage de cette année : le fait de savoir prendre du recul et de se remettre en question constamment. Je suis partie d'Exeko avec une humilité renforcée. En arrivant, je me voyais tout faire pour changer les choses, de n'importe quelle manière. Grâce à Exeko, aux partenaires rencontré.e.s, j'ai pris ce recul important de savoir que, des fois, il faut savoir se taire et rester à sa place. J'ai vraiment réalisé l'importance de savoir écouter, apprendre et accepter quand on n’est pas concerné.e, que ce soit dans le milieu militant et communautaire, mais aussi dans le quotidien de chacun.e. Je n'avais aucune idée concrète sur la posture d'allié.e avant de venir ici. Je ne pensais pas que même avec toute la bonne volonté du monde, on pouvait blesser certaines personnes dans certains combats. Je repars d'Exeko avec ça en tête, avec la capacité d'analyser mes propres comportements, mes propres schémas et angles morts aussi. Je parle d’angles morts car, même si je considère que je suis quelqu'un de tolérant et d'ouvert, on a tou.te.s des préjugés culturels, des stéréotypes inculqués par la société elle-même. D'où l'importance de toujours chercher à déconstruire ça, petit à petit, et réfléchir avant d'agir, chose que je ne faisais pas spécialement avant. Je pense que j'ai appris à mieux agir, finalement. C'est vraiment nécessaire parce qu'on peut mal faire, très facilement, sans le vouloir.
Un truc qui t'ait marqué en particulier?
Le fait de prendre d'abord soin de soi, avant de prendre soin des autres, est une nécessité absolue. C'est une chose que j'avais en tête sans jamais l’avoir vraiment compris.
Je veux parler spécifiquement de l'équipe d'Exeko, car tout va vraiment bien dans cette équipe : la bienveillance est continue, une grande communication est de rigueur… C'est une chose rare dans un milieu professionnel. Chacun.e a ses forces et ses faiblesses et ne s'en cache pas ; tout le monde accepte sa propre vulnérabilité, ce qui permet d’oser et de ne pas avoir peur de demander de l'aide en cas de besoin. Le fait que l'équipe prenne soin d'elle-même de cette façon donne encore plus d'impact aux actions qui sont mises en place. Chez Exeko, il n'y a pas de problème d'égo. Tout le monde est au service de la mission et se met en retrait par rapport à ce qui est fait. Je trouve ça vraiment cool et extrêmement différent de mes expériences passées en France, où ce n'était pas du tout le cas et où les problèmes interpersonnels prenaient beaucoup de place, empêchant cette prise de recul nécessaire qui existe chez Exeko. C'est pour ça que je trouve ça bien que l'équipe soit aussi soudée, aussi vraie et sans masque. Il y a vraiment un soutien énorme entre chaque membre de l'équipe que je trouve vraiment beau.
Ce qui m'a marquée, c'est aussi le fait que l'identité même d'Exeko se retrouve dans toutes ses pratiques. Exeko, c'est beaucoup de théories : la théorie de la transformation sociale, la présomption d'égalité des intelligences, la médiation intellectuelle (NB: à découvrir, la médiation intellectuelle c'est quoi?, en vidéo par ici). Ce sont des gros pavés, difficiles à comprendre au premier abord. Ça paraît flou quand on n’est pas dedans mais dès qu'on les met en pratique, ces théories deviennent limpides et se mettent en pratique naturellement.
Par exemple, avec la présomption d'égalité des intelligences - en gros, considérer que chaque intelligence se vaut, que chacun.e doit avoir les mêmes chances par rapport aux apprentissages - on se rend compte que c'est juste une attitude à avoir. Et c'est comme ça que les gens vont se révéler : parler, s'exprimer, être créatif, apprendre. C'est une grosse réflexion derrière cette posture-là, qui au final est simple à mettre en place.
Une rencontre particulière qui t’ait touchée ?
Il y en a mille. Mais pour n'en citer qu'une, lors d'un Métissage Urbain de Marie-Paule Grimaldi, j'ai rencontré Ali, qui ne parlait ni français, ni anglais, seulement farsi. C’était assez compliqué car le projet était justement basé sur la langue française et sur l'expression écrite. Malgré ça, on a quand même réussi à échanger, il nous à exprimer qui il était et d'où il venait. Il avait fui la guerre en Afghanistan. Un médiateur lui faisait écrire des choses en fonction de ce qu'il nous racontait. J'avais trouvé ça super stimulant comme moment, pouvoir se parler malgré tout, il y avait de la création mêlée à de l'apprentissage : de la langue et surtout entre nous.
À quel moment t’es-tu dit : ah ça y est, je comprends enfin ce qu’on fait chez Exeko !
Cette compréhension-là a été super lente au début, puis petit à petit des clés ont ouvert des portes par rapport aux différents projets. Au bout de trois mois, j'avais une vision relativement claire de tout ce qui était fait par Exeko : les activités en communauté autochtone dans le nord du Québec, à Montréal, auprès de tout type de populations, marginalisées ou pas, et l'impact sur les différentes sphères - individuelle, institutionnelle ou gouvernementale. Je comprenais un peu tout ça, mais c'était surtout en théorie. Finalement, c'est à chaque fin de cycle de projet idAction (NB: programme de développement de l'esprit critique, d'analyse sociale et d'action citoyenne à découvrir ici), ou à chaque fois que j'allais sur le terrain que je me disais : "ah ça y est, là je comprends". Voir des vraies personnes en face de moi qui prenaient confiance en elles ou être témoin de belles réflexion qui émergaient, ce sont ces petits exemples comme ça qui, mis à bout à bout, m’ont permis de mieux comprendre l’organisme à travers toute ses actions. Je comprenais pourquoi et comment les besoins étaient assouvis. C'est tout le temps dans les petites actions que ça marche.
Ce que tu as préférée de ton expérience ? Ou qui au contraire fût une épreuve ?
La seule vraie difficulté que j'ai pu avoir, qui n'est pas liée à Exeko en particulier mais plutôt au milieu communautaire en général, a été de me rendre compte que changer les choses est plus difficile que ce qu'on pense. On se confronte souvent à des murs auxquels on ne s'attendait pas, à des problèmes logistiques, de mécompréhension, de budget… Au final, ce genre de problèmes pourrait être facile à résoudre mais le fait que d'autres institutions et d'autres partenaires ont aussi un rôle à jouer là-dedans complique les choses.
Le mot de la fin ? Des projets à venir?
Je travaille avec Manon, une amie sur un projet de documentaire. C'est une initiative personnelle de nous deux. Il s’agit d’un documentaire dédié à la situation de la COVID-19 du point de vue des personnes en situation d'itinérance ou de précarité, souhaitée ou non. On souhaite en apprendre davantage sur ce qui a changé dans leurs vies par rapport à l'arrivée du virus et tout ce qu’elle a entraîné - la distanciation sociale ou la fermeture des commerces, par exemple - car on entendait beaucoup parler de difficultés dans le communautaire, du fait qu'il y avait moins de ressources. On a voulu avoir le retour des gens directement touchés par tout ça. Le but n'est pas de faire un portrait de l'exclusion et des conséquences de la pandémie. On essaie d'apporter une vision exekienne au documentaire, d'avoir un regard tourné vers le futur. On veut interroger les gens sur différents sujets comme les rapports sociaux, le rapport à l'argent, la solidarité, et que tou.te.s puissent s'exprimer librement sur ce qu'ils pensent, sur leurs espoirs de changement et leurs rêves. Le documentaire n'est pas nous, il est les personnes qu'on interroge. On souhaite simplement apporter cette vision positive sur les choses qui pourraient changer. Sans Exeko, le documentaire n'aurait jamais eu cette vision-là. Il est la plus belle conclusion que je peux donner à mon année passée auprès Exeko. Tout ce que j'ai appris, je le mets en pratique dans ce documentaire, dans un projet vraiment personnel mais qui au final est dans l'intérêt collectif et dans la vision d'Exeko. Ça me permet de faire vivre les pratiques d'Exeko dans mon propre quotidien et à partir de là, je peux facilement affirmer que ce qu’Exeko met en place, ça marche.
Amandine est entre-autre la réalisatrice de trois reportages tournés dans le cadre de son 1 an chez Exeko: pour le programme Métissages Urbains avec Au-delà des mots et Modus Operandum, et pour le Forum de corédaction de la charte pour une culture accessible, inclusive et équitable. Elle est également l'autrice de nombreuses photos à découvrir sur notre Flickr.