Par admin : 04/29/2013 - 15:39
L'Opinion Publique @ Maison du Père
L'Opinion Publique @ Maison du Père
Par Ha-Loan Phan
Bénévole pour idAction et idAction Mobile à découvrir ici
Jeudi dernier, j’ai découvert la Maison du Père pour mon quart de bénévolat dans le cadre du programme idAction, qui offre toutes sortes d’ateliers « qui facilitent la construction d’une pensée libre par l’exploration d’outils réflexifs, l’appropriation des enjeux de la société et l’action citoyenne afin de favoriser l’inclusion sociale des participants ».
La Maison du Père est un refuge du centre-ville de Montréal accueillant les hommes de plus de 25 ans, sans-
abri. « Refuge »… Ce simple mot prend tout son sens que lorsqu’on le vit, et c’est cette expérience que j’ai envie de partager avec vous à travers cet article.
Arrivée avant Maxime, le médiateur d’idAction de la soirée, je pousse la porte de la Maison où Maurice m’accueille. La lueur du soleil couchant éclaire faiblement la salle d’attente où je m’installe confortablement, comme à la maison, dans un grand siège. Je remarque qu’il y a une odeur propre à cet endroit, une odeur que j’identifie maintenant comme « l’odeur de la Maison ». Un occupant fait la sieste sur sa chaise roulante en attendant le repas, l’autre feuillette, souriant, la presse. On se salue d’un signe de la tête.
Maxime arrivé, nous faisons le tour de la salle à manger et de la salle d’activités commune pour convier les gens à participer à notre atelier. Les réactions sont diverses : certains m’accueillent avec un sourire et de la curiosité, promettent de passer; d’autres sont trop fatigués pour interagir alors que certains ne comprennent pas l’objet de l’atelier. Il y a un monsieur avec des béquilles, il dit qu’il n’a pas envie de venir parce que c’est trop dur pour lui de se déplacer d’ici à l’avant du refuge, qu’il préfère rester assis ici. Il vient de se faire opérer du ménisque à l’Hôtel Dieu, après un an d’attente… Il touche du bout du doigt ma cicatrice au poignet. Il vient de Cuba et dit parler quatre langues. Il me dit « T’es jaune » en arabe, on rit, et il sait que je suis vietnamienne. Il me demande quel âge j’ai. Je lui demande de deviner. « Vingt-trois ».
Son ami qui ne comprend pas bien le français mais aimerait participer à la conversation dit « Cincuenta y nueve », on rit encore parce qu’il n’a rien compris à ce que j’ai dit (il pensait que je demandais l’âge de son ami), on finit par s’expliquer en trois langues. L’homme aux béquilles conclut notre entretien : « Perds pas ton sourire et surtout, reviens! ».
L’atelier commence. Nous sommes une douzaine de personnes qui ne nous connaissons pas, assises en cercle sur des chaises. Je demande aux participants si ça les dérange que je les enregistre en audio. Normand, le plaisantin, dit que ça ne dérange personne, sauf lui! et qu’il faudrait par conséquent que je coupe l’enregistrement à chaque fois qu’il interviendrait… Les hommes entrent et sortent à leur guise et la discussion prend forme. Je remarque que chacun se sent très à l’aise d’intervenir.
J’ai été particulièrement impressionnée par la qualité d’écoute et la convivialité de notre groupe. Chacun était très attentif (sauf un qui dormait et nous faisait rire à cause de ses ronflements!) : on ne se coupait pas la parole, on enrichissait chaque intervention. « L’opinion publique n’est pas monolithique » selon Robin le poète. Chacun a fini par s’approprier une définition de la « doxa vulgus » et de la démocratie « Vive le peuple! » et par se façonner sa propre critique sur les différents médias actuels. Comme dirait Guillermo, «Internet, c’est comme la Bible, tu peux y trouver Dieu ou tu peux aussi y trouver le Diable! »
Une discussion animée par un jeu de rôles, où Normand et moi-même étions « Présidents » d’un pays fictif. Lorsque j’ai mis ma tuque pour ressembler à Normand qui en portait une, il a dit : « Je peux aussi enlever la mienne ». C’est tout bête, mais c’est ça la délicatesse.
Nous avons abordé la dualité entre objectivité et subjectivité, quand Robin a fini par pointer mon enregistreuse en commentant « C’est ça l’objectivité ». Je leur ai finalement proposé pour conclure l’échange d’écrire chacun de notre côté ce qu’on avait retenu de cette soirée. Que moi-même j’allais écrire quelque chose et qu’on construirait ensemble un texte commun s’ils le souhaitaient. «Les paroles s’envolent, les écrits restent » confirme Michel. « Mais comment on va faire » s’inquiète Normand, « on n’a pas Internet ici ». Je lui réponds qu’il peut prendre un papier et un crayon et que moi, j’allais lui imprimer mon article pour qu’ils puissent tous le lire et le commenter.
(C) David Agagnier
Cependant, un non-dit subsistait. On venait de passer deux heures à parler d’opinion publique mais la question que j’avais envie de poser à ces hommes est la suivante : « Est-ce que vous, vous sentez écoutés?». La réponse tombe comme un couperet : « Ben ici oui, mais ailleurs, non. ».
Michel, Normand B., Andy K., Guillermo Ramirez, Nadih Charchan, Robin Edgar, Jean-Pierre, Sosii, Gilles T., Jonathan Marceau, Boris, Jeremy, Denis, Marc-André et les autres… Autant d’opinions, autant de voix que de noms signés de leur main dans mon carnet.
Si la Maison du Père répond principalement aux deux premiers paliers de la pyramide de Maslow, qui sont les besoins physiologiques et de sécurité en fournissant aux itinérants gîte, repas et plus, je crois que le programme idAction répond aux trois autres paliers, qui sont les besoins d’appartenance, d’estime et d’accomplissement de soi, en offrant, par le biais de ces ateliers, l’espace propice pour des moments simples et marquants d’échanges entre êtres sociaux.
« Est-ce que vous allez revenir la semaine prochaine? ». Oui, et je suis très curieuse de savoir ce que chacun a écrit.
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